Takazawa

voyage dans l'imaginaire d'un chef

Après quelques jours passés à découvrir au gré du hasard les joies de la gastronomie japonaise, Mme. Tilash et moi nous rendîmes à notre première table réservée à l’avance (et pas qu’un peu, car pour s’assurer de pouvoir poser son derrière sur l’une des dix chaises du restaurant, il est vivement recommandé de réserver trois mois avant votre venue).

La rumeur annonce fièrement que Chef Takazawa a refusé une ou plusieurs étoiles Michelin, lorsque celles-ci ont frappé à sa porte. Je ne sais pas si c’est vrai, mais cela ne m’étonne pas car ce restaurant ne semble pas se soucier d’être moderniste ou classique, d’être japonais, français ou même méditerranéen, il ne se soucie pas non plus d’être prétentieux ou convivial. Alors les étoiles elles sont dans les yeux d’Akiko, la femme du chef, qui apporte chaque plat avec autant d’enthousiasme et de sympathie que les cuistots ont de concentration.

Quelqu’un a dit un jour « faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux ». Cette devise pourrait être celle du restaurant, quoique Takazawa-san trouverait sûrement qu’elle manque un peu de fantaisie…

Amuse-bouche – Gelée de melon et prosciutto
Rafraîchissant et tout au plus rigolo (mêler les saveurs connues du jambon cru et du melon), je doute cependant de l’intérêt de transformer ainsi ce fruit et cette patte de cochon.

Amuse-bouche – Œufs de saumon au zeste de yuzu
Le chef n’achète pas ses œufs de saumon déjà séparés, lavés, salés et marinés comme la plupart du commun des mortels (y compris parmi les professionnels de la gastronomie). Il les achète dans leur membrane adhérente et s’occupe lui-même de toute la préparation. J’ignore si cette anecdote change ou non la qualité du plat, tout ce que je sais c’est que ces petites billes éclataient brillamment dans la bouche en déversant leur liquide épais et salé qui se mêlait subtilement à la note de yuzu. Le coussin de riz calmait les ardeurs et apportait une texture confortable pour garder les pieds sur terre.

Amuse-bouche – Grand canyon
Une chips de coquille St-Jacques aux filaments d’algues, de poissons et de crevettes séchés. Derrière son allure de peinture d’Anselm Kiefer se cache une texture parfaite, croquante mais pas sèche pour autant et des saveurs marines intenses mais élégantes. L’industriel qui arrivera à commercialiser ces chips dans un sachet de 500g aura ma plus grande affection.

Amuse-bouche – Sphérifications de panais et truffe d’été
J’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de déguster des « sphérifications », ces boules de liquide maintenu par une fine pellicule d’alginate – devenues le symbole de la gastronomie moderniste, et aussi son cliché – elles apportent une touche d’étonnement la première fois qu’on les goûte, et ensuite à quoi bon…? La réponse parait ici évidente, sans cette petite astuce la soupe de panais aurait noyé les truffes qui se seraient ramollies, en disposant ainsi les lamelles du champignon sur la membrane solidifiée des sphères, le goût intense de la truffe crue restait intact et pouvait se mélanger au dernier moment avec le panais, lui conférant une autre dimension.

Ratatouille (2005)
Le plat mythique du restaurant. Une douzaine de légumes sont cuits séparément, différemment, au plus juste, puis mariés sous la forme d’une terrine. Servie en une seule tranche à mettre entière dans la bouche, cette ratatouille garde toute l’essence du plat provençal, mais avec une fraîcheur et une intensité décuplée. Voilà l’exemple parfait de l’idée qu’on pourrait croire anecdotique et qui se révèle être magique.

Parfait de légumes (2011)
Beaucoup de plats (essentiellement des desserts) prennent le nom de « parfait ». Peu arrivent réellement à une forme de perfection… Ce gazpacho de tomates jaunes, saupoudré de dés de légumes, de fleurs, d’herbes, et puis la petite coquetterie, du caviar, se dévoilait avec puissance. On aspire dans la paille et tout virevolte, chaque gorgée est originale mais la symbiose fonctionne du début à la fin (même la chantilly de parmesan avait son mot à dire). Parfait.

Bouillabaisse avec de la bière ? (nouveau)
Des fruits de mer servis avec un peu d’aïoli et censés rappeler le goût de la bouillabaisse une fois mélangés avec la « bière », qui était en fait un consommé de poisson froid avec une mousse de tomate. Sur le ring chaque coquillage arrivait à se défendre, mais le consommé était fade et le plat devenait rapidement ennuyeux.

Sauce en poudre (2006)
Du maquereau tendre à en pleurer servi avec des champignons matsutake sur des quenelles, un peu trop grosses, de pommes de terre et de potirons. Et puis on vous amène une poudre de vinaigrette rafraîchie dans de l’azote liquide, et qui fume et qui fond dans l’assiette pour la napper de cet assaisonnement. Je me serais bien passé du tour de magie, mais pas de ce maquereau.

Salade de BIEI (nouveau)
Une sorte de gargouillou revisité à la japonaise, et plus précisément par la région de Biei, Hokkaido, d’où tous les légumes de l’assiette provenaient. Du croquant (mini betterave, mini concombre), du moelleux (purée de carotte, crème de tofu et edamame), du frétillant (tempura de fleur de courgette) et de l’étonnant comme cette « mertensie maritime » ou huître végétale, une feuille servie avec de la mayonnaise et de la chapelure comme si c’était une huître gratinée au four, et qui en avait bien le goût ! Pas grand chose à dire d’autre sur ce plat d’une maîtrise incroyable mais peut-être un peu trop dispersé, ah si, la tomate cerise était délicieuse.

Bougeoir (2007)
Akiko semble toujours aussi amusée des trouvailles de son mari (même quand elles datent de 2007), c’est donc avec un grand sourire qu’elle nous a apporté un bougeoir avec son couvercle. Lorsque nous avons soulevé celui-ci, nous découvrîmes une bougie faite d’un émincé de mangue et piment (avec une petite feuille de romarin dans le rôle de la mèche). Sous le couvercle se cachait une crème brûlée au fois gras.
La crème était trop lourde et la mangue trop épicée, mais ensemble l’équilibre était trouvé. Les toasts/papier aux raisins secs apportaient la pointe de croustillant nécessaire.

Petit-déjeuner chez TAKAZAWA (2008)
Toujours avec du mal à contenir son sourire, Akiko nous présenta un petit-dej un peu spécial. D’un côté un bol de corn flakes (en réalité des chips très légers) et de l’autre un œuf mollet, un peu trop cuit, recouvert de truffe d’été. L’œuf ne ressemblait en rien à ce qu’on pourrait manger le matin, et les chips n’étaient là que pour la blague. L’humour semblait prédominer l’attention portée au plat, et malheureusement ça ne m’a pas beaucoup fait rire.

Rouges (nouveau)
Autour d’un poisson particulier, le Tile Chameau dont les écailles éclatent comme du riz soufflé à la cuisson, une composition s’installe mettant en valeur la couleur rouge ; betteraves, poivron, tomates, radis, tapenade, piment vert pour contraster un peu. Les saveurs oscillent entre la Méditerranée et le Mexique. Si le chef avait choisi une seule sauce pour ce plat il aurait peut-être mieux fonctionné, trop de diversité noyait un peu le poisson. Malgré cela, mes papilles étaient ravies devant autant d’attention, et je ne m’en suis pas lassé.

Diner dans la forêt – WAGYU (2009)
Pour ceux qui ne sont pas au courant, le bœuf Wagyu c’est le bœuf roi. Élevé en plein air, massé quotidiennement, abreuvé régulièrement de vin ou de bière (selon les préférences de l’éleveur), cet animal est la preuve vivante… enfin, disons la preuve, que plus un être vie heureux, plus sa chair est savoureuse.
Je vous passe la mise en scène (une branche qui crame pour nous mettre dans l’ambiance), je vous passe le décor (une bûche en toc, kitch à souhait), je vous passe la blague (un morceau de patate douce grimé en charbon), je vous passe les accompagnements même si les différents champignons, cacahuètes, graines de ginkgo, auraient certainement volé le devant de la scène dans une autre assiette…

La viande : persillée, moelleuse, savoureuse, au goût légèrement faisandé, intense, suave, mon dictionnaire des adjectifs déclare forfait ! Probablement la meilleure viande que j’ai mangée.
Je vous en prie éleveurs français et du monde entier, laissez vos bêtes en plein air, donnez leur de bonnes choses à manger, massez-les, enivrez-les de vos meilleurs pinards, je vous en prie…

Déjà-vu ? (en français dans le texte) (nouveau)
Le « parfait » à nouveau ? Oh oui oui, je veux bien ! Non ? Haha quel vilain farceur ce Takazawa… Cette version sucrée du parfait était à la pêche, saupoudrée cette fois de fruits divers, fleurs et gelées. Très parfumée, et harmonieuse, elle n’égalait pas son modèle mais introduisait avec swing les desserts.

Le fromage bleu spécial de Takazawa (2011)
À la fin du dîner, mes zygomatiques étaient crispés par un mélange déroutant de véritable bonheur culinaire et de réaction forcée aux assiettes facétieuses du maître des lieux. J’abandonnai donc la bataille et laissai Akiko me présenter la dernière boutade du jour : « Comment ce n’est pas vraiment du fromage bleu ? Ho ho ho. Un cheesecake à la pistache ? » Bref, passons. À l’instar du foie gras, ce gâteau au fromage était lourd et pâteux tout seul, mais prenait allégresse lorsqu’il était accompagné de l’exquise confiture de figues ou du rafraîchissant granité de porto.

Ne nous étalons pas sur les mignardises, elles ne sont pas restées gravées dans ma mémoire.

Chef Takazawa est un perfectionniste, il cherche constamment, s’applique, et renouvelle sa carte. Il oscille entre le merveilleux et le pétard mouillé, bien souvent à cause d’un humour qui rate un peu le coche. Quelques plats de ce dîner étaient néanmoins hors du commun, alors je veux bien rire jaune de temps en temps si c’est accompagné d’une baffe multicolore de cette intensité.

Takazawa
Sanyo Akasaka Bld. 2F 3-5-2 Akasaka Minatoku
Tokyo, Japon
www.takazawa-y.co.jp

Ouvert le soir uniquement de manière irrégulière…

Ce jour-là, le prix par personne fut de 30,000¥ (soit environ 300€).
(il existe également deux autres menus à 20,000¥ et 24,000¥)