« J’le snack sur la plaque »

prémices du langage sms gastronomique

Il y a de cela bientôt un an, je testais une petite boutique de nourriture sur le pouce, rue Oberkampf à Paris. Par respect pour cet endroit aujourd’hui disparu nous tairons son nom. Dans la petite salle, une jeune femme proposait différents bagels garnis de condiments variés. A part les énormes pots de Philadelphia Cream Cheese fièrement exhibés sur les étagères, rien ici n’approchait la saveur ni l’esprit du fameux pain troué New-yorkais. Mais ne tapons pas sur les morts, car le sujet de cette note n’a rien à voir avec la qualité du déjeuner en question.

Demandant à l’intéressée quelques précisions sur l’un de ses sandwichs, elle clama quelque chose de cet ordre: « Bah j’prends le bagel, j’le coupe en deux, j’le snack sur la plaque, j’y mets du cream cheese et vos garnitures au choix. »

Elle le snack sur la plaque… poésie.

« Snacker sur la plaque » devint vite un running gag entre mes amis et moi. À chaque fois que, pour une raison ou une autre, notre humeur nous amenait dans les joies des détournements du langage, « snacker sur la plaque » faisait son apparition comme le comble de l’absurdité verbale, comme un trophée Monty-Pythonesque !

Un snack, en anglais, signifie un quatre-heure, un goûter, une petite collation sucrée ou salée. « Snacker sur la plaque », serait-ce donc lorsqu’un groupe de jeunes gens, en shorts, boufferaient des chips et des mini-carottes, assis en tailleur sur une plaque chauffante…?

Cet épisode anecdotique serait resté dans le tiroir des private jokes, sans jamais mériter un article, s’il y a quelques jours, en feuilletant le dernier numéro du magazine Régal (n° 47), je n’étais tombé sur un conseil du chef triplement étoilé, Alain Passard : « L’épi de maïs est intéressant snacké dans la cheminée ou sur la plaque. J’aime bien le manger comme ça, au beurre salé, et l’épicer avec du curry. » ! Comment est-ce possible ? Cette expression serait-elle courante dans le milieu de la gastronomie ? Ne suis-je donc qu’un ignorant qui aurait tout de même pu savoir qu’Escoffier parlait déjà de « snackage sur plaque » dans son Guide Culinaire publié en 1903 ?

Lorsque Ferran Adria cherche de nouveaux termes à des formes et textures qui n’existaient pas auparavant cela donne des « airs », des « sphérifications », des « lyos »… Je n’ai rien contre les néologismes ou les anglicismes lorsqu’ils enrichissent le langage, comme j’en parlais dans mon article sur le film Tampopo il existe un verbe en anglais pour désigner le fait de manger bruyamment des pâtes ou nouilles, en les aspirant avec la bouche : to slurp. On pourrait facilement imaginer le verbe du premier groupe « slurper » ; je slurpe, tu slurpes, il slurpe, etc. Pourquoi pas ?

Non seulement « snacker sur la plaque » est absurde quand on sait ce qu’est un « snack », mais en plus il existe déjà des termes désignant l’acte de griller rapidement un aliment sur une plaque : passer en aller-retour, saisir…

J’aime la langue et ses papilles qui nous en font voir de toutes les couleurs, j’aime la langue et ses mots qui nous transportent de papote en popote. Mais j’avoue que cette expression, ôtée de son contexte humoristique, j’ai un peu de mal à l’avaler…